Introduction à la cuisine irakienne – Samak Mashwi bil Summaq (Poisson rôti farci au sumac)

par Darya

Samak mashwi bil summaq

Aujourd’hui, je vous emmène de nouveau en Irak, avec un billet qui allie histoire, géographie, et cuisine.

Le poisson joue un rôle central dans la culture mésopotamienne, tant dans les régions du Sud (où les grands fleuves du Tigre et de l’Euphrate viennent se jeter dans le golfe Persique), que dans le Nord du pays, dans la zone située entre les deux fleuves, et qui a donné à la région son nom grec de Mésopotamie (meso, le « milieu », et potamos, « le fleuve », région « entre les deux fleuves »).

Evolution du signe

Les textes du 3e millénaire avant notre ère trouvés dans le Sud de l’Irak et écrits en langue sumérienne (la plus ancienne langue attestée à ce jour par écrit) mentionnent un grand nombre de poissons, mais seule une petite trentaine de ces poissons a été identifiée, et encore, de manière assez hypothétique. Les textes distinguent aussi les poissons d’eau douce des poissons de mer. La région du Sud, celle où vivaient les Sumériens, était jusqu’à très récemment en grande partie composée de marécages, et la pêche y était donc essentielle (je n’entre pas ici dans les détails de la question de l’assèchement par Saddam Hussein de ces marais… triste histoire). Récemment, tout comme au 3e millénaire avant notre ère, les pêcheurs utilisaient différentes méthodes de pêche, comme la pêche au harpon, ou la pêche au filet, à la fois en fonction du poisson et de l’endroit où ils pêchaient.

Berbera men fishing with nets 3

Le poisson apparaît aussi dans la mythologie, les incantations et les prières, et faisait partie des offrandes aux divinités (avec des pêcheurs travaillant directement pour les temples). Le transport et la conservation du poisson sont bien attestés. On pouvait sécher et saler le poisson, à la manière de la bacalhau portugaise, ou encore le conserver dans une préparation à base de vinaigre de vin (la méthode mamqur, attestée dans les textes du 9e siècle de notre ère). On confectionnait également une huile de poisson fermentée à la manière du garum romain, qui servait essentiellement dans des contextes médicaux ou religieux.

Ninive - Palais d'Assurbanipal - Homme pêchant

Aujourd’hui, je vais surtout vous parler des poissons de rivière, car c’est ceux que j’ai eu l’occasion de goûter lorsque j’ai voyagé dans le Nord de l’Irak. Le poisson le plus courant dans cette région est la carpe, la meilleure étant pêchée dans le Tigre, dont les eaux sont plus vives que celles de l’Euphrate. Une fois pêché, il est gardé le plus longtemps possible vivant, et on en trouve dans de grands bacs d’eau dans certains marchés et devant les restaurants les plus élégants des villes, et les restaurants moins élégants le long des rivières. Ce poisson est destiné à la préparation du samak masgouf, la spécialité de Bagdad, mais que l’on retrouve tout au long du Tigre jusque dans le Nord du pays. Il s’agit d’une préparation où le poisson est entièrement ouvert dans la longueur, placé sur une grille posée verticalement à proximité d’un feu, et cuit côté chair. Le résultat obtenu est une chair tendre, au goût légèrement fumé. On arrose le samak de jus de citron frais et on le mange avec les doigts, enveloppé de petits morceaux de pain plat, en essayant d’éviter les très nombreuses et dures petites arêtes.

Samak masgouf - Erbil 2011

Un autre poisson de rivière que l’on trouve assez communément s’appelle mangout, et correspond plus ou moins à notre truite d’eau douce. Et c’est ici que commence ma recette du jour, le samak mashwi bil-summaq, ce qui signifie « poisson rôti farci au sumac ». Il est très rapide à préparer et à cuire, et le résultat est bluffant ; à la fois joli, élégant, sophistiqué, et délicieux. Les deux ingrédients principaux sont la noix et le sumac, une poudre rouge au goût acidulé obtenue par le pilage de petites baies rouges préalablement séchées. On le trouve dans les épiceries orientales, dans certaines bonnes épiceries parisiennes, et sur la toile. J’ai servi le poisson avec une petite salade de cresson arrosée de jus de citron et du riz basmati blanc, auquel j’ai ajouté une petite poignée de raisins secs dans les 5 dernières minutes de cuisson.

Sahten !

 Ingrédients (pour 2 personnes)

– 2 truites arc-en-ciel, écaillées et vidées.
– 2 c. à soupe d’huile neutre (par exemple, huile de pépins de raisin)
– ¼ c. à café de curcuma en poudre

Pour la farce
– 2 c. à soupe de sumac
– 2 c. à soupe de za’atar ou de thym séché (le za’atar se trouve généralement dans les épiceries orientales)
– ¼ c. à café de coriandre moulue, ¼ c. à café de cumin moulu, ¼ c. à café de cannelle moulue
– 2 grosses gousses d’ail, dégermées et pressées
– 40 gr. de cerneaux de noix, grillés à sec dans une petite poêle, refroidis et hachés assez finement au couteau (ou moulus, mais la texture sera différente, et j’aime qu’il y ait quelques morceaux plus gros dans ma farce)
– 1 c. à soupe d’huile (de pépins de raisin)
– ¼ c. à café de sel
– 1 à 2 c. à soupe d’eau

Farce

Recette (adaptée du livre de N. Nasrallah, Delights from the Garden of Eden, et d’une recette trouvée dans Les basiques orientaux, de M. Magnier-Moreno, aux éditions Marabout)

– Préchauffer le four à 230°C. Dans un petit bol, mélanger l’huile et le curcuma. Faire deux ou trois entailles de chaque côté de vos poissons. Enduire les poissons d’huile au curcuma à l’extérieur et à l’intérieur. Disposer dans un plat allant au four.

– Préparer la farce. Mélanger tous les ingrédients de la farce en finissant par l’eau pour former une pâte assez compacte. Farcir les truites de la farce (environ 3 c. à soupe pour chacune). Refermer avec des cure-dents (je ne l’ai pas fait, et la farce n’est pas ressortie, mais cela peut-être utile). Placer le poisson au four et cuire 15 à 20 minutes, en fonction de la taille du poisson (éviter de le faire trop cuire ; vérifier la cuisson en donnant un petit coup de fourchette dans la chair ; si elle s’émiette aisément c’est que le poisson est prêt). La peau doit avoir commencé à brunir.

– Servir avec du riz et une salade verte.

Spearing fish

The English-speaking corner

Today, I would like to talk about fish in Iraq, as it plays quite an important part in the history and culture of what used to be Mesopotamia (from the Greek meso, the “middle”, and potamos, “the river”), a region situated between the Tigris and Euphrates river, which cross the country from North and West to South, ending in the Persian Gulf waters.

3rd millennium BC texts written in Sumerian (the oldest writing as far as we know) mention approximately 30 different types of fish, of which only a few have been tentatively identified. There was a distinction between fresh-water fish and salt-water fish, and also a distinction between the methods of fishing (spear-fishing, or net-fishing). In the South of Iraq, where the Sumerians used to live, a big part of the country was a huge Marsh area, where fishing was a central part of the culture and economy (I will NOT talk about how a certain Saddam Hussein dried out the Marshes, destroying the area, its economy, culture, and people).

Fish appears in ancient mythology, incantations, prayers, and was part of the offerings made to gods in the ancient temples (which employed their own fisherman). The transportation and preservation of fish are well-attested: the fish could be dried and salted (in a similar way as for Portugese bacalhau), marinated in wine vinegar (a 9th century AD method called mamqur), and the Mesopotamians used to extract and ferment a kind of fish oil (similar to Roman garum), which was used for medical and religious purposes.

Today, I want to talk about river fish, as that is what I tried when I travelled in Northern Iraq. The most popular fish there is carp. The best carp can be caught in the Tigris, and should be kept alive as long as possible, which is why one can see big containers filled with water at the entrances of fancy restaurants in Erbil, or less fancy restaurants along the river. This fish is meant to be made into a dish called Samak masgouf, which means Barbecued fish. It is a delicacy from Baghdad, but can be eaten anywhere along the banks of the Tigris, as far as Erbil, which is where I tasted it, and even further North. The fish is cut in its length, and set on a grill, which is placed vertically beside an open fire, with the flesh side turned towards the fire. It cooks for a long time (1 hour), and yields a very tender white flesh, with a light smoky taste, and is served whole, drizzled with lemon juice. You are supposed to scoop out the flesh onto a piece of flat bread, and eat it with your hands, trying to avoid the very numerous and hard little bones.

Another popular river fish is the mangout, which corresponds more or less to our fresh-water trout. This is where today’s recipe begins. Samak mashwi bil-summaq, which means “Baked fish with sumac” is quick and easy to make, and the result is quite impressive: pretty, elegant, subtle and delicious. I served the fish with a watercress salad drizzled with lemon juice, and white basmati rice (to which I added a small handful of dried raisins 5 minutes before it was ready).

Walnuts

 Ingredients (serves 2)

– 2 medium trout, cleaned and gutted. Wash if there are any traces of blood, and pat dry. Make 2 to 3 diagonal slashes on both sides of each fish
– 2 Tbsp oil (I used grape-seed)
– ¼ tsp turmeric powder

For the stuffing
– 2 heaping Tbsp sumac
– 2 level Tbsp za’atar or dried thyme
– ¼ tsp ground coriander, ground cumin, ground cinnamon each
– 2 cloves garlic, sprout removed, and crushed
– 40 gr (a little over 1/3 cup) walnut halves, toasted and finely chopped (you can process the walnuts, but I like the stuffing with slightly bigger pieces)
– 1 Tbsp grape-seed or sunflower oil
– ¼ tsp salt
– 1 to 2 Tbsp water

Recipe (adapted from N. Nasrallah’s book Delights from the Garden of Eden, and M. Magnier-Moreno’s Les Basiques orientaux)

– Preheat the oven at 230°C (450°F). Mix the oil and turmeric, and rub the fish with this mixture on the outside and on the inside. Place in an oven-proof dish.

– Mix all the stuffing ingredients, adding the water last. It should be of paste-like consistency. Fill the insides of the trout with a couple tablespoons of the stuffing mixture (I used approximately 3 Tbsp for each). You can secure the fish closed with toothpicks, but I didn’t, and the stuffing didn’t fall out.

– Place the baking dish in the oven, and bake for 15 to 20 minutes, depending on the size of the fish. To avoir overcooking, prod the fish lightly with a fork; if it flakes easily, it is ready. The skin should have browned slightly. (The pictured fish required 17 minutes). Serve with rice and salad.

Bon appétit!

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