Introduction à la cuisine irakienne : beaucoup de thé et quelques douceurs

par Darya

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La première fois que je suis partie en mission en Irak, mon équipe a traversé la frontière turco-irakienne en voiture, au poste-frontière situé entre Silopi, dans le Sud-Est de la Turquie, et Zakho, dans le Nord-Ouest du Kurdistan irakien. Côté turc, on vérifia nos passeports et on nous laissa passer sans rien dire. Côté kurde, nous fûmes d’abord accueillis par un « Mais que diable êtes-vous venus faire ici ? », suivi d’un « Bienvenue » chaleureux, accompagné de thé et de biscuits, que nous bûmes en attendant que nos papiers fussent étudiés. Ce fut le premier d’un bon millier de thés que nous eûmes l’occasion de boire durant les deux mois que dura notre séjour. Au musée d’Erbil, où travaillait une partie de mon équipe, pas moins de deux employés étaient préposés à la préparation du thé : un monsieur surveillait les théières tandis que l’autre portait des plateaux de petits verres de thé dans les différents bureaux, y compris le nôtre, et ce même lorsque nous lui disions que nous n’en voulions pas (mais ils avaient du mal à concevoir qu’on puisse ne pas vouloir de thé). Nous travaillions toute la journée au son de petites cuillers clinquant contre les parois des verres, un bruit qui, de dérangeant qu’il était au début, finit par ne plus être remarqué tant il faisait partie de notre quotidien.

Le thé, dans tout le Moyen-Orient, est une véritable institution, et l’Irak ne déroge pas à cette règle. Il est impossible d’échapper au thé lorsqu’on travaille là-bas, et les Irakiens en boivent des quantités astronomiques du matin au soir (je ne sais pas comment ils font). Leur thé noir et très fort est servi dans des petits verres appelés istikan, et contient souvent plus de sucre qu’il ne contient de liquide. J’avais même des collègues irakiens qui faisaient des concours à qui mettrait le plus de sucre dans son thé. Et lorsqu’un jour, j’osai demander un thé sans sucre, on ne me prit pas au sérieux. Il s’avéra même que ma requête était problématique, car leur thé était d’abord bouilli longuement avec du sucre, avant d’être servi dans les istikan dans lesquels on ajoutait de nouveau du sucre. Alors demander du thé sans sucre signifiait qu’ils devaient préparer du thé spécialement pour moi, puis en refaire pour tous les autres membres de l’équipe, tous adeptes de thé très sucré. Après cet épisode, je renonçai complètement à boire du thé, et si, par politesse, j’acceptais un istikan, j’appris à ne pas le touiller, laissant le sucre au fond du verre et ne buvant que ce qui restait à la surface.

Les théières du musée d'Erbil, Kurdistan Irakien. Vous noterez qu'au moins trois des brûleurs fonctionnent sur cette photo. The teapots of the Erbil museum, Iraqi Kurdistan. Note that at least three of the burners are functioning on this picture.

Les théières du musée d’Erbil, Kurdistan Irakien. Vous noterez qu’au moins trois des brûleurs fonctionnent sur cette photo.
The teapots of the Erbil museum, Iraqi Kurdistan. Note that at least three of the burners are functioning on this picture.

La boisson que je souhaite vous présenter aujourd’hui n’a rien à voir avec le thé dont je viens de vous parler (vous aurez compris que ce n’était pas trop ma « tasse de thé »). Il s’agit plutôt d’une tisane appelée chaï noomi basra, une boisson très fréquemment bue dans le Sud du pays – que je n’ai jamais visité – et dont certains estiment qu’elle est la boisson irakienne par excellence. Elle est préparée  avec un ingrédient très courant en Iran, mais également dans le Sud de l’Irak, le citron vert séché. En France, on le trouve dans les épiceries spécialisées en produits orientaux sous différents noms : limou omani (lime d’Oman), lime séché, citron vert séché, ou sous son nom irakien, noomi basra, appellation due au fait que le produit arrivait en Irak depuis l’Oman ou l’Inde via le port de Bassorah, unique port irakien du golfe persique. Les citrons verts sont bouillis dans de l’eau salée avant d’être séchés au soleil, et on les trouve en différentes nuances de marron, allant du beige clair au marron-noir (voir la photo ci-dessous).

Je dois vous prévenir, cette tisane n’est pas pour tout le monde, car derrière son goût de citron vert bien prononcé se cache une petite amertume qui peut ne pas faire l’unanimité; cette amertume est à l’origine d’un autre nom donné à cette boisson, chaï hamudh, qui signifie « thé acidulé ». Pour éviter que la boisson ne soit trop amère, il est nécessaire de retirer les pépins avant d’infuser les noomi et de sucrer la boisson… avec une petite lichette de miel (et non une tonne de sucre raffiné) ; croyez-moi, j’ai préparé du chaï noomi basra glacé cet été et ai omis d’ôter les pépins par paresse ; le résultat fut vraiment imbuvable. Mais ce chaï, surtout lorsqu’il est bu chaud, me plaît infiniment plus que le thé noir que l’on trouve plus couramment au Moyen-Orient, et j’ai même lu par-ci par-là qu’il était excellent pour la digestion et pour lutter contre les maux de ventre.

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Pour l’accompagner, j’ai préparé une petite douceur sucrée très simple, à base d’abricots secs et de noix de coco mixés. Avec ce mélange, on forme des petites boulettes qui sont ensuite roulées dans de la noix de coco, de la pistache, ou des graines de sésame. La recette sur laquelle je me suis basée initialement indiquait d’utiliser de l’eau de rose, mais ni le Grand, ni moi n’avons apprécié le résultat, qui était vraiment trop parfumé. J’ai donc revu la recette, et le résultat que je partage avec vous aujourd’hui me plaît bien plus. Cette douceur porte le joli nom de kurat al-mishmish, ce qui signifie le plus banalement du monde « boulettes d’abricot ». Elles se préparent en deux temps, trois mouvements, et se conservent plusieurs jours au réfrigérateur.

Kurat al-mishmish

Kurat al-mishmish

Kurat al-Mishmish
Ingrédients
(pour une douzaine de kurat)

– 90-95 gr. d’abricots secs
– 20 gr. de noix de coco râpée
– 1 à 3 c. à soupe de jus d’orange frais (selon la consistance des abricots)

Garnitures possibles
– Pistaches effilées
– Noix de coco râpée (+ quelques pétales de rose séchée effritées)
– Graines de sésame (ma version préférée)
– Amandes effilées ou hachées
ou autres…

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Recette

– Dans le bol d’un petit robot, mixer longuement les abricots secs, la noix de coco et une cuiller à soupe de jus d’orange. Il faut que le mélange s’amalgame et ressemble à une pâte collante. Ajouter du jus d’orange une cuiller à la fois si le mélange est trop sec. Transvaser la pâte d’abricots dans un bol.

– Prélever environ 1 cuiller à café de pâte, et la rouler à la main. Puis, rouler chacune des boulettes dans la (ou les) garniture(s) choisie(s) en pressant légèrement mais sans déformer la boulette. Poser sur une assiette et réserver les boulettes au réfrigérateur durant environ 15 minutes. Si vous ne souhaitez pas les manger immédiatement, les conserver au réfrigérateur dans une boîte hermétique.

– Déguster avec une petite tasse de chaï noomi basra (voir la recette ci-dessous).

Sahten!

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Chaï Noomi Basra
Ingrédients (pour environ 6 petites tasses de chaï)

– 2 noomi basra (citrons verts séchés)
– Environ 400 ml d’eau
– Du miel

Recette

– À l’aide d’un casse-noix, ouvrir les noomi basra (la peau est très dure). Ôter tous les pépins. Mettre les morceaux de noomi basra dans une casserole avec l’eau et porter à frémissements. Laisser infuser à frémissements pendant 5 à 10 minutes (plutôt 5 minutes pour moi). Filtrer et servir bien chaud, avec du miel pour sucrer.

Note : si la tisane est malgré tout trop amère à votre goût, la diluer avec de l’eau chaude supplémentaire et rectifier la dose de miel.

Noomi Basra au bazar d'Erbil (en second plan) Noomi Basra at the Erbil bazar

Noomi Basra au bazar d’Erbil (en second et troisième plan)
Noomi Basra at the Erbil bazar

The English-speaking corner

Chaï Noomi Basra and Kurat al-Mishmish, Iraqi Dried Lime tea and Dried Apricot Balls

The first time I travelled to Iraq, the team I worked with crossed the Turkish-Iraqi border near the town of Silopi, in South-Eastern Turkey. While the Turkish customs officer just looked at our passports and let us pass without asking a single question, things didn’t go as smoothly at the Zakho border on the Iraqi side. First, the customs officers asked us what the hell we thought we were doing there, but after trying to explain why we were there (in several different languages), they finally welcomed us. While they were examining our documents, we were treated to hot tea and cookies. That was the first of many thousands of teas we drank in the next two months. At the Erbil museum, where part of the team worked, two men were employed exclusively for tea-making: one supervised the preparation, while the other would take platters of little istikan-glasses to the offices, distributing tea to the other employees, including us. We even got tea when we clearly stated that none of us wanted it; but they would never admit that it was possible not to want tea. As we worked, the clink-clink of spoons against the glasses never stopped, but it went from being the most annoying noise to becoming an everyday sound, and in the end we didn’t even notice it any more.

Tea is very important in the Middle-East, and one cannot escape it when one travels there. Iraqis drink insane amounts of tea, at any time of the day or night. I don’t know how they can do it! The tea they drink is black, strong, and usually contains more sugar than liquid. I even had Iraqi colleagues who would add as much sugar as they could, just to show they could do it! One day, I asked for tea without sugar, but nobody took my request seriously. I then realized that it would have been a problem making sugar-free tea for just one person, as they usually boiled tea with sugar directly in the kettle before serving it in istikan-glasses with more sugar. In the end, I simply stopped drinking tea, except when we were invited to somebody’s house, in which case I learned never to stir my tea, and only drink the liquid that was above the thick layer of sugar.

Noomi Basra, lime séché (dried lime)

Noomi Basra, lime séché (dried lime)

The recipe I want to share with you today bears no relation to the tea which I have just described (you will have understood that it isn’t really my « cup of tea »). Today, I want to tell you about chaï noomi basra, a kind of infusion which is very common in the South of Iraq; some say it is the Iraqi tea par excellence. It is made with an ingredient which is frequently used in Persian and Southern Iraqi cuisines: dried lime. Dried lime bears many different names: black lime, dried lime, loomi omani (or amani), and noomi basra, its Iraqi name (which comes from the fact that it was imported from India or Oman via the Southern port of Basrah). To make dried limes, one first needs to boil the fruit in salted water before drying it, and the results can vary from the light brown to black limes (see the picture above).

I must warn you, this tea is not for everybody’s taste, as along with its dominant citrusy taste, it can also be quite bitter, which is why the drink has a second name: chaï hamudh, which means « bitter tea ». To avoid this bitterness, it is necessary to remove the seeds, and add a sweetener: I use honey (and no a ton of refined white sugar). Believe me, I have tried preparing chaï noomi basra without removing the seeds, and it was awful. But I actually like this chaï much better than plain black tea, and for those who are interested in its benefits, I have read that it is very good for digestion and in cases of stomach ache.

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To accompany my chaï, I made a very simple sweet, made of pureed dried apricots and dessicated coconut. With this mixture, one forms little balls, which can be rolled in more coconut, slivered pistachios, or sesame seeds (my favorite). The recipe I used when making these balls called for rose water, but P. and I both found the taste too heady and strong, so I changed the recipe, and I am quite pleased with the one I came up with. These little balls have a pretty name: Kurat al-mishmish, which simply means « Apricot balls ». They take just minutes to make, and can be stored in the refrigerator for quite a long time.

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Kurat al-Mishmish
Ingredients
(for a dozen kurat)

– 90-95 gr. (½ cup) dried apricots
– 20 gr. (¼ cup) dessicated unsweetened coconut
– 1 to 3 Tbsp freshly squeezed orange juice (the required amount will depend on how dry the apricots are)

Garnishes
– Slivered pistachios
– Dessicated unsweetened coconut (+ a few crushed dried rose petals)
– Toasted sesame seeds (my favorite)
– Slivered or chopped almonds
or anything else you like…

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Recipe

In a small processor, thoroughly mix the dried apricots, coconut, and a tablespoon of orange juice. The mixture should gather into a sticky ball. Add more orange juice if it seems too dry. Transfer the apricot paste to a bowl.

– Take about a teaspoon of apricot paste, and roll it between your hands. Then roll each ball in any of the chosen garnishes, pressing slightly so it sticks, but keeping a round shape. Place on a plate. When finished making the kurat, place the plate in the refrigerator for about 15 minutes so they firm up. If you will not be eating them straight away, store in an air-tight container in the refrigerator.

– Serve with hot chaï noomi basra (see below).

Sahten!

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Chaï Noomi Basra
Ingredients (yields about 6 small cups of chaï)

– 2 noomi basra (dried limes)
– About 400 ml water (about 14 oz)
– Honey

Recipe

– Using a nut cracker, crack the noomi basra open (its skin is very hard). Remove all the seeds. Place the noomi basra pieces in a pot and cover with the water. Bring the water to a simmer, then reduce the heat, and simmer for 5 to 10 minutes (I simmered the chaï for 5 minutes). Strain the tea and sweeten with honey to taste.

Note: if the chaï is still too bitter for your taste, dilute it with extra hot water, and add more honey.

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